Au bord de la plage de Barcelone, tous les matins, des artistes migrants viennent construire des châteaux de sable surprenants. Dans la nuit, ils seront saccagés par des jeunes désoeuvrés, la police ou des jaloux, étourdis par tant de beauté. Leur violence est telle qu'il serait risqué de passer la nuit près des sculptures de sable. Cela reviendrait presque à risquer sa vie, et se voir dérober les quelques pièces offertes par les touristes. Alors patiemment, au fil de la journée, ils reprennent lentement les heures de construction... pour le plus grand bonheur des passants. Exposition en plein air.
« Vie = Zone à Défendre »
Poèmes d'E. J.
« Migration »
Elles errent sur une étendue
Qu’elles ne connaissent pas
Criant
A celui qui ne comprend pas
Appelées par celle qui leur rendra la vie
Plus loin
Chez elles
Là – où on ne voit plus.
« Horizon cyclique »
Striures de l’habitude
C’est une houle cosmique ;
Ardeur de la paume qui refuse
L’éloignement de la poudre d’or
De l’étendue rebattue
L’assujettissement tentant
De la vie ailleurs.
Toile et poème de Youssef Lamghari
"Épitaphe"
Au bout de tes cils la lune a fait jaillir
Un sentier large comme mes bras comme mes nuits d'enfance
La senteur des mottes d'haleine des hirondelles me soûle
Je forge un autre ciel plus haut plus en couleurs
Pour lécher les étoiles pour oublier les détours
Et sur ta poitrine je sculpte le nid tiède d'un rossignol.
La soif de mes derniers parcours vaines hyperboles
Tu oublieras l'odeur perforée de désirs périmés
Tu changeras de nom de rouge à lèvre d'oreillers de moi
Tu implanteras sur tes joues le jasmin la magie du printemps
Le miel des baisers brûlés entre le coucher et la houille
Entre la belle folie confiée aux cheminées et l'ivresse
Tu ordonneras à la brise matinale d'itérer mes soupçons.
De fragmenter mes fantasmes virils en lettre épitaphe
Ma turbulence infantile perdue en collier d'émeraudes
Mon voyage irréversible déracinant les arbres l'eau et la lumière
Ma chemise déchirée logera les plumes des oiseaux terrifiés
Les grandes nostalgies des parcours oubliés saccagés
Le ronronnement de mon coeur sur les pistes brumeuses de jadis...
ECHAPPEES ou Comment réussir ses échecs dans la ville écrasante ? Rechercher le souffle de la forêt et son tapis de camouflage... Court-métrage poétique réalisé au lycée Voillaume d'Aulnay-sous-bois en 2014. Textes de Annie Van de Vyver (Veilleuse Fragile), Bernard Lherbier (Quatrains vulgaires), Eric Pessan (N), Sylvain Tesson (Dans les forêts de Sibérie)... Avec Archinenissa, Habib, Melodina, Camille, Menelick, Socrate, Jean-Claude, Jordan, Paula, Larbi, Laeticia, Jean-Marie... Voix off Jamal Maraou. Musique "Wind" de Ibrahim Maalouf. Ce film est aujourd'hui pour nous un hommage ému à la poétesse Annie van de Vyver et à son recueil VEILLEUSE FRAGILE.
Le film peut être visionné sur notre chaîne you tube Les Villes en Voix.
Photographie et textes du recueil
d'Annie Van de Vyver Veilleuse fragile
"Impair"
Ne trouvant pas sa part
Alors qu'il partait pour
Quand il cherchait un père,
Il s'en remit au pire
En rencontrant l'impur
Suant de tous ses pores,
Et c'est là qu'il prit peur.
Il regagna son port,
Et retrouva ses pairs.
"Printemps"
Les arbres sont encore
en leur tenue d'hiver,
Mais l'aubépine éclot
sous les baisers du jour.
Cette neige fruitière
fait s'égarer tes pas.
Le bruit de la rivière
sur la terre endormie,
Les perles de rosée
sur la fleur engourdie,
Le parfum du silence
sur la couleur de l'eau,
Le sanglot de l'oiseau,
Ces bouffées de confiance,
De langueurs attendries,
Raniment l'horizon
qui respire tranquille.
Jean-Christophe Bailly, Le versant animal
Editions Bayard, 2007
"Ce dont je voudrais parler, ce n'est pas d'une transgression, dans un sens ou dans l'autre (ce qui, de l'homme vers l'animal ou de l'animal vers l'homme, franchirait l'abîme), mais d'un côtoiement, de ce côtoiement toujours singulier et toujours fait de touches qui est, entre eux et nous, le monde régulier du lien - justement quelque chose d'à peine lié, de toujours survenant. [...]
Le côtoiement de l'homme et des animaux sauvages, c'est avant tout ce système complexe d'évitements et de tensions dans l'espace, une immense pelote de réseaux inquiets qui se dissimulent et où il nous est parfois donné de tirer un fil."
"Correspondances"
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,
Ayant l'expansion des choses infinies,
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.
Baudelaire, Les Fleurs du Mal,
poème IV de "Spleen et Idéal".
Photo-montage : Frédéric Quélin
Texte-pulsion de Fazia Raja
"Cheval en soi"
Ne coche pas les angles du visage
ne cherche aucun arrondi
tu peux dire Non qui étouffe
si tu le sens c'est cela qui est à dire
car l'anormal, le défigurant, il sait
quand il y a coup de couteau
Ne retiens pas la petite idée qui glisse dans l'ombre et qui fait mal
Si tu as mal : ce n'est pas un hasard
Ceux qui font mal, placarde-les en affiche sur tous les murs du monde
Rabats la fange qui te bâillonne
Et regarde en l'air
Abats le feu qui t'épsilone refuse un mot narquois monarque abysse des fausses coulisses refuse en toi la marge en larmes Rabats la rage hirsute et fauve
Ne désemplis pas de fougue
Tu as le droit d'être et de te coller au monde
Exactement comme tu marches et comme tu le sens.
Toile de Paul Gauguin : "Matamoe ou le Paysage aux paons."
Poème de Ghérasim Luca, Héros-Limite
Dans une des régions
les plus raréfiées de l'esprit
où je campais au pied de la lettre
à une altitude de nul pied
plane un petit nombre d'idées très particulières
qu'il eût été dommage de ne pas saisir
au vol de mes distractions
Je faillis ne pas les apercevoir
tant elles étaient creuses au milieu
d'oublis et de vertiges sans nom
L'une d'entre elles
attira notamment mon attention
non pas pour la beauté de sa démarche
d'une indistinction certaine
mais à cause de ses yeux
longs et minces
que j'ai pris pour des antennes
de sauterelle
Je me penchais, alors, et reconnus
une de ces idées à capuchon vert
qui prennent les hommes au dépourvu
Elles ne sont pas
égarantes, au contraire
mais le traitement qu'elles font subir
aux penseurs est si étrange
qu'il faut décrire en détail
le dispositif destiné à les captiver
...
Dessin : JOSEF PINTURE
Texte : A deux heures du matin, de Falk Richter,
éditions de L'Arche, 2014.
Lisa. A deux heures du matin tout est soudain très silencieux.
Max. A deux heures du matin je suis debout immobile à la fenêtre et regarde à l'extérieur.
Timo. A deux heures du matin, je pense soudain : tu as tout raté, tu as tout raté.
Lisa. Tu as le mauvais boulot, les mauvais amis, tu lis les mauvais livres, écoutes la mauvaise musique, tu te nourris mal, portes les mauvaises fringues et tu NE SAIS PAS CE QUE TU VEUX.
Max. ALLEZ,CHANGE DE VIE.
Timo. OUI, ALLEZ, CHANGE DE VIE, A PARTIR DE DEMAIN, TU FERAS TOUT DIFFEREMMENT.
Lisa. Apprends enfin à CONSOMMER de façon plus CONSCIENTE et A BIEN REPARTIR TON TEMPS.
Constanze. A deux heures du matin le téléviseur me jette un regard tellement bizarre.
Il veut clarifier notre relation une fois pour toutes.
Il dit que je passe trop peu de temps avec lui. Il dit que je ne le remarque pas, que je ne fais pas vraiment attention à lui, que je ne lui laisse pas occuper l'espace de ma vie dont il est digne.
Le téléviseur veut de l'AFFECTION, veut de l'AMOUR, je l'ai délaissé, JE NE SAIS RIEN de ce qui se passe actuellement dans le monde.
Ces dernières semaines j'étais si OCCUPEE que le monde, là à l'extérieur, a arrêté d'exister.
Pas d'informations, pas d'images,
et là, mon MacBook Air ouvre soudain toutes ces fenêtres et ces portails et me montre des contenus toujours nouveaux, me guide de lien en lien et j'erre d'un site d'informations à l'autre, et je me bouffe toutes ces images et je n'arrive plus à arrêter.
JE NE COMPRENDS PLUS RIEN, RIEN. QU'EST-CE QUI SE PASSE ?
...
Toile de Thérèse CIGNA.
A LA PLAGE
Sable, mer, soleil, ciel bleu, vacances ;
Ton enfant avec sa pelle creuse,
Ton enfant s’amuse, rit aux éclats,
Tu le regardes, tu souris.
Lui,
Comme ton enfant, avec sa pelle creuse,
Sous terre, dans les mines de cobalt,
Jour et nuit, il creuse,
Comment il s’appelle ?
Parfois payé, si peu,
S’il trouve du minerai,
Il a de l’asthme, sais-tu ce qu’est l’asthme ?
Quand ton enfant enrhumé, a du mal à respirer,
Tu te fais du souci, tu prends soin de lui.
Lui,
Passe sa vie, courte il est vrai, asphyxié,
Dans les métaux toxiques, plongé ;
Dans une heure, l’ignore t-il ?
S’effondrera le tunnel de terre.
Dans ton téléphone, du cobalt.
Sur l’écran, la photo de ton enfant ;
Invisible, un autre enfant,
Comment il s’appelle ?
Ton enfant, la plage, tu souris…
Texte de Béatrice Vergnaud.
Toile et texte de Thierry Le Floch