Le recueil de Nathalie HOLT, « Averses », dix nouvelles.
Il arrive qu’une écriture vous accompagne, le fleuve est large et souple, on y rentre en confiance, douceur, étreinte, la voix pousse dans le dos, forme un tuteur sous les épaules, la colonne s’étire dans ces histoires folles, on aime soudain nager (mais quand avons-nous déjà éprouvé cette sensation ?), il pleut comme en ère antique et la phrase tourne autour de la tête – un vent frais. C’est exactement cela, tant recherché dans l’acte de lire, qui fait qu’on oublie qu’on se trouve en train de lire. L’objet livre a disparu devant soi. On est happé dans l’histoire. C’est peut-être affaire de délicatesse, cette joie-là, d’accorder le droit d’oubli à son lecteur. Les récits sèment le doute, une déstabilisation proche de l’épouvante. On agit dès lors en enquêteur, décryptant le moindre signe avant-coureur du malaise. Le drame inévitable s’ouvre déjà aux premières lignes, mais nous sommes retournés. La chute est inénarrable, jamais celle qu’on aurait envisagée. Les dix coups ont sonné dans la mémoire, des opéras vengeurs, des faits troublants, des pluies à mourir, ces petits chefs-d’œuvre de prétérition avancent dans la tête et soudain nous confondent avec fracas… un peu comme Le dormeur du val, où le poète dit qu’il n’annonce pas ce qu’il est justement en train de révéler… alors le vertige invite à la relecture de quelques lignes. On est retournés : on s’était acclimatés, on avait fini par trouver cela normal, cette furie, ce risque pris contre le sort, et soudain on réalise qu’on s’était totalement égarés… Nous les avons lues d’une traite, ces folles épopées, assourdissant tout du réel, sans pouvoir décrocher. A déguster en écoutant le superbe tube de Ceylon "Jusqu'à la fin", interprété par la fille de l'autrice :)) On craque pour leur nouvel album "On ne dit pas".
La bande dessinée de Salomé LAHOCHE, « La vie est une corvée ».
La chaleur fait stagner les larves, tu entends des bruits contre toi, le monde morbide s’est fait tailler l’oreille – maintenant il pourra avancer comme un sourd – les puits manquent d’eau, ta moelle de cervicale fait des bulles, ton cœur vagal, les colères grondent, les familles virent au vinaigre dans les immeubles surexposés, rien n’est plus possible. La concentration part en vadrouille, les yeux s’étiolent et tombent – ne lisent plus depuis des lustres. Et soudain, le miracle : tu découvres cette BD sur l’étagère, tu t’es réfugié dans cette petite librairie de province, tu lis le titre, tu te dis waouhh c’est exactement ce qu’il te faut. ET là, inouï : tu découvres les premières vignettes aux couleurs crues, c’est viral, les phylactères rentrent dans les yeux, et d’un coup tu te mets à rire, à colérer brut, à jaillir hors du trou, les trouvailles sont tellement hardies et cocasses – si justes – qu’il est impossible de ne pas faire lire autour de soi, non mais lis ça, regarde, lis : les vignettes croquent des situations de vie, d’actualité, de violence interne, avec une telle gaillardise et une telle intelligence, on a besoin de partager, un troupeau de têtes contre la page, lisent à plusieurs en riant, le flux libérateur fait voler l’obstacle, taper du poing, grailler, courir, cavale dans le corps, c’est du Rabelais tout craché. On retrouve le rire cathartique de Molière : ça y est, on n’est plus malade !!
La bande dessinée d’Etienne DAVODEAU, « Loire ».
De l’eau, de l’eau au large, l’aquarelle magique coule au gré, pages à voiles sans le moindre moteur, déverse un corps à plat, ton cœur à plat sur la rive, l’aquarelle c’est sa danse, fluidifie le sang, la main de Marie Laurencin sur ton front, cette fraîcheur des étés douloureux à oublier dans les degrés d’eau tiède, les yeux soudain sans pesanteur, juste quelques oiseaux et la branche cassée, le livre s’ouvre en grand vent, et raconte sur le sable clair. Merci pour le bonheur, merci à Etienne Davodeau, l’auteur du superbe recueil « Le droit du sol ».
Synopsis : « Quand Louis reçoit cette invitation d’Agathe, il est un peu ému. Et intrigué. Des quelques années qu’il a passées avec elle au bord de la Loire, Louis garde un souvenir ébloui. Alors il ne résiste pas à l’idée de prendre quelques jours pour revenir dans la lumière du fleuve. Il décide de marcher vers le lieu de rendez-vous. C’est le soir. Il fait chaud. Louis longe le fleuve avec plaisir et sur une plage décide de se rafraîchir avant d’arriver. Il entre dans l’eau. Erreur. Il perd pied et se met à dériver. Il se laisse flotter sans lutter. Le problème, c’est qu’il commence à faire sombre et que le courant a déposé Louis sur l’autre rive. Le voilà nu, devant parcourir quelques kilomètres à pied pour rejoindre le pont et revenir de l’autre côté. Il attend la nuit noire et entame cette longue balade finalement assez drôle... Il arrive à l’aube. Agathe n’est pas là... voici un portrait de femme qui est aussi celui d’une région, sur les rives de la Loire. » Editions Futuropolis.
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