Lieu de revendications, lieu d'observation et de rencontres, espace à la fois de refuge et d'exclusion, espace du refus, accueillant toutes les craintes et toutes les fantasmagories...
Voilà, nous y sommes : dans LA RUE !
On attend des peintures, dessins, poèmes, photos...
Toile hypnotique de JOSEF PINTURE !
(artiste d'Angers 49)
Sophie Bazin,
plasticienne et photographe,
images d'Antananarivo.
Seriez-vous celui que l'on craint quand le sifflet menace,
moi je suis celle qui vous voit, n'espérez pas que je m'efface.
Ma sœur, est-il encore temps de se joindre à la messe ?
Si nous ratons ce bus, c'est que plus rien ne presse.
Sophie Bazin
Seriez-vous le travailleur, harassé, dans la file,
moi j'ai la chance d'étudier, c'est à pied que je me faufile.
Sophie Bazin
poète,
plasticienne et photographe.
Vous aviez rêvé d'air pur et d'un bleu paradis,
voici nos couches mœlleuses, pour vos songes éblouis.
Je ne suis pas celui que la noce rebute,
mais je prendrai des forces avant les longues heures.
Sophie Bazin
Petits poèmes sous forme de hainteny, une forme traditionnelle de la littérature orale malgache.
L’homme qui marche dans sa tête
Il a des mots qui traversent hors clous
Des mots qui vous parlent de NOUS
Du bitume aux pavés, de villes en cités
Loin des idées cimentées
Une balade, une errance
Comme un rêve d’enfance
Chaque fois renouvelé.
Des mots, Il en a plein sa besace
Le poète de la rue
Des mots qui ouvrent l’espace
Du jardin-agora des pensées
Où se grandit la diversité.
L’homme qui marche dans sa tête
A pris la poudre d’escampette
A contre-vent, il prend son temps
La poésie pour seul campement.
Alors écoute-le penser à haute-voix
Le poète de la rue
Ses mots lui parleront de toi.
Valérie Claro,
poème et sculpture.
(Ancienne Parisienne devenue Montpellièraine!)
Toile : Ema Courtois, dessin.
Fin de dimanche
le jour décline
le gris gagne
un nuage prend de la couleur rose
ça donne un ciel à la Watteau
les voitures se rangent à leur place
en épi l'une après l'autre
et moi
en double file,
qui n'arrive pas à rentrer
chez moi
les familles sortent leur week-end du coffre
des enfants boudeurs
assis dans les feuilles mortes
jouent
avec un ressort jaune
mon cœur suit sa course
spirale perpétuelle
et retombe
dans la rue
entre leurs pieds
bientôt on allumera les veilleuses
Dominique Bergougnoux.
Toile : Elodie B., Oeuvre picturale I.
Toute cette flotte
qui dégringole
du ciel furibard
des cordes des seaux des trombes des vaches qui pissent
si c'était nos larmes
avant qu’elles ne coulent
ou toutes celles qu’on ne retiendrait pas
larmes de douleur
larmes de deuil
larmes des condamnés
larmes des amours mortes
larmes des enfants sous les bombes
larmes des migrants dont personne ne veut
enfermés dans la mer
les rues se font torrents
nos pauvres vies de papier mâché
flottent à la dérive entre les détritus
on dirait une fin du monde liquide traversée d’éclairs jaune
la pluie comme un tombeau
un naufrage du printemps
sous des vagues de boue
et la terre qui ne veut plus boire
nos souffrances d’êtres
après nous, le déluge ?
la tête sous l’eau
nous implorons des dieux païens et oubliés
pour que revienne la lumière
Dominique Bergougnoux.
Toile : Elodie B, Rencontrer, dessin.
Sortir dans la rue
le visage nu
marqué des plis
de la nuit et du temps
se sentir fragile
l'iris sera bombardé
de rayons
la vue brouillée
il y aura
au centre
un trou infime
percé
pour que s'écoule
le flux des larmes
Dominique Bergougnoux.
Toile de Josef Pinture, Dans la Rue.
Texte-pulsion de Fazia Raja
"PARIS IS A PUNKIE STREET"
En sa rampe circulée tu vombes et douce chantonnant
Parce que la rue
se promenade et s’enfile en rivière
chanter pas à pas
circule en sa moutonne
de gouttes de balcons
poussière de pierres tes yeux en l’air
Elle répond pas aux petits passant passant dans les rues gondolantes
Sa broussaille de bruits fait une pieuvre consolante dans les méninges
elle fait ton propre droit à la parole
ses rigoles les plus sombres
Il y a tellement d’années secondes que tu entends les orages
des rues avenantes
de gauche et de droite
Dans les bourrasques politiques du dixième Art ancien et ses pancartes savonneuses
Il y a si longtemps que tu vois pleuvoir
les grands gisements de cacochymes et de colères
Les ravis ravages des coupes dures, la vire au visage qui condamne à plus voir
Tous ces grands bols dans la figure
Pourtant tu veux garder les yeux ouverts
sur les rues de tes transferts
La bombance des cris
des stratosphères
Sur la sciure des pièces d’argent qu’on recueille au fond d’une main
Pour s’acheter un bout de pain, une miette de couchage sur une dent de trottoir
Un seuil clément, un banc de poix, une colonne de géant
où tu es si petit
passant ramassé en bulbe de branchies sur un banc
Et la nuit tombée,
la balbacade des lumières se ribambelle et s’atmosphère
Pluie de digicodes et raboule le fric et tanse la Tamise
Il faut tarabusquer le busc et les gouttières de mise à prix
...
Toile : Elodie B., DIRE, toile-collage.
Pourtant la ville
a ses ruelles frou-frou de musc et d’hirondelles
Aujourd’hui elle s’en balade et se dénude les épaules,
toute rafraîchie des laveurs de trottoirs, elle bombe le torse et roucoulade jusqu’aux secrets des enfants malades qui dorment mal au boulevard Brune
Mais la rue descelle les paupières, grande sauveuse des BB Brunes, pour la rigolade
S’en balance des p’tites misères mais recueille les grandes
Les oubliés de Belleville
Les pleureuses des Cimetières
Les parlantes aux parloirs, les repris de justice
Et Place des Fêtes elle se souvient toujours
La gosse ramène sa fraise
Et fait sa femme fatale tout au long de la République
Jusqu’à chasser les ostensoirs des châtelains de l’hôtel de ville
L’impertinente
Ma Paris d’agréments a ses petits miracles, mais elle fait la méchante
Avec les dos tordus sur les bancs, tortues laissées pour mortes
Alors qu’il faut ouvrir des portes
Alors les cris de la révolte
scandent le non amer
le non recul, non aux gravats non aux Trous Ducs
Et la rue t’en fout plein la Tronche
Ne crois jamais qu’elle ne voit pas !
Fazia Raja, texte-pulsion
"Paris is a Punkie Street"
TAG de LEM : Je ferais mieux...
"L’arôme m'a tuer"
Quand Romane tise
Le rhum, l'anise
D'un lever de coude il poétise
Bien des arômes
Bien des éprises
C'est sans glace
dans sa trachée que liquide glisse
Il se plaît à dire
C'est sanglant
comme un verre de vin sur le pare-brise
Il se met à rire
C’est sans gants
qu'il pactise
avec le diable dans ton Gin'Fizz
et s’adonne à fuir
Sharon Guedj
Graff "Mr Voul", à Roubaix
quelques rues derrière le Musée La Piscine.
Alceste
Vla qu'on me blâme d'faire bande à part,
D’être secret et misanthrope
Le Dit Molière d'la rue Mozart
Mais après tout
Si la pareille j'ai pas rendu
Tapez dans l'bec de mon miroir
Et si parfois mon sourire éclaire
ainsi que mes yeux s'hilarent
Sachez c’est pas une mince affaire
Donc saluons le beau jolie
M. Pinard
A qui revient mérite et gloire
--
Pour en revenir
je sais pas toi
mais quel exploit
de s'unifier là où chacun pense à soi
Fin du bal
Textes de Sharon Guedj.
Toile : August Macke, L'église de sainte Marie à Bonn dans la neige, 1911.
Petite suite méditative, créée par France Burghelle Rey.
" Le monde n'est que murs
Pour seule issue : la hache. " Marina Tsvétaïéva
" La civilisation des murs
est arrivée à sa fin
Pour que les murs
redeviennent viables,
ils doivent tomber " James Noël
" il faudrait que les murs tombent
pour que la vie soit là " Benoît Conort
" ll n'y a pas de murs
Je te le dis il n'y a pas de murs "
" Vers quel édifice
Toutes ces fondations ? " André Chédid
Toile : August Macke, Marché à Alger, 1914.
Des pierres comme des mots (fragments).
une ville sans gloire
ville-village avec
acacias
acanthe
aubépine
leurs épines comme des murs boucliers pour nos rêves
anémones dans le vent qui soulève
dans ses jardins suspendus pour des pensées qui volent
bruits du silence et musique des brises
le ciel regardait les passants - jeu de marelles
et de cerfs-volants
lieu nouveau dans un temps qui s'arrête
* * *
une ville plus forte que le temps
son soleil plus bleu que mon courage
visages de femmes et d'hommes
- creusés dans du bronze comme je creuse pour trouver mes racines avant que la grêle ne détruise les bourgeons
creuse pour construire une ville sans pluie
aux arbres éternels
où l'herbe sera un lit nouveau
Textes de France Burghelle Rey.
Toile : pochette de l'album "Black Market"
du groupe de Jazz Fusion "Weather Report", 1976,
label Colombia Records.
bonne nouvelle des miens : je ne fais plus que du surplace et demain prend son sens
les murs se repoussent dans un temps qui s'échappe entre les cailloux j'arrache autant
d'herbe qu'il faut pour panser mes blessures
le soleil sèche la sève-onguent l'horizon est plus sûr
j'ai bien fait de chanter
tombe enfin le soir sur mes pensées plus claires
derrière une fenêtre au loin brille pour ma joie
le reflet d'un peu d'eau
Texte de France Burghelle Rey.
Graff "Ares" dans La Belle du Gabut,
péninsule culturelle au coeur de La Rochelle.
sur l'herbe foulée
de l'aurore au crépuscule
le temps a cessé
de gronder sur les racines
d'un champ fleuri de douilles
***
champ de ruine –
seules les herbes folles
rampent à terre
sans racine ni visage
écorchées par le temps
***
des bouts de riens
éparpillés un peu partout
sur cette terre
aux racines arrachées
par un souffle d'autrefois
Textes : Sandrine Davin, TANKAS.
Photographie : Rue de Siam à BREST, au XIXe,
bien avant le ravage de la seconde guerre.
fracture de ciel -
des ombres s'évanouissent
dans l'échancrure
d'une route sans issue
où les silences menacent
Tanka, de Sandrine Davin.
Photographie : Anton Corbijn, "Peter Gabriel".
ma marche a un sens qu'ailleurs elle n'a pas
les pierres sont chaudes sous mes pieds
les arbres font une haie d'honneur à mon ombre qui bouge
je travaille à une ville sans banlieues et sans portes
la poésie est miracle
interprète, à toi !
il y aura une rivière - silence de ses berges - odeur de l'enfance et sa couleur verte brillera plus
que nos toiles
j'entends d'ici ses oiseaux et sa source qui coule
je compterai les matins
il y aura mille pas mille
arbres et mille mots
ville ! ville !
sans
nei-ge / je nais !
Texte de France Burghelle Rey.
Photographie : Clara Devil, CYBERIE.
"L’appétit"
Il y a tant de temps, tant d’années que je n’en n’avais pas ; En ai-je jamais eu ? Pour tout dire, je l’ignore. Vois-tu, Lecteur, c’est un objet si léger qu’on peut le perdre sans s’en rendre compte, sans bruit mais en mesurant la portée, la signification de cet objet égaré : sécurité, insouciance.
Toi, quand tu perds cet objet qui tient souvent dans une main fermée, c’est l’angoisse qui s’empare de toi, tu ne penses plus à rien d’autre. Tu es prêt à tout pour posséder à nouveau cet objet, prêt à payer cher, très cher et les professionnels le savent bien.
Moi, je n’en n’avais pas. Parfois, rarement, il y avait la consigne, quand je pouvais, une heure, un jour, deux jours si le soleil brillait sur moi, si Jupiter s’en mêlait un peu. Alors, je pouvais me délester, entreposer mon fardeau.
Fardeau matériel, fardeau mental, c’est du pareil au même. Et puis un jour, après tant et tant d’autres jours, Saturne est parti ou plutôt, il est devenu mon allié, presque mon ami. Ne me demande pas comment mais je te le dis : en toute légalité, je ne suis plus sans domicile fixe, sdf comme ils disent pour dénaturer la réalité. Maintenant, j’ai une clé.
Avec la clé, ma vie transformée. Je crois que j’ai retrouvé un peu d’appétit, d’appétit de vivre.
Texte : Béatrice Vergnaud.
Graff : BLU.
Texte de Béatrice Vergnaud.
Une chaise
Il y a une chaise. Il y a chez Jean, une chaise,
Cassée.
Dans un bric-à-brac de vieux objets,
Une chaise récupérée par Jean,
Une chaise jetée dans la rue
Et puis plus rien.
Plus rien jusqu’à ce que Jean
Passe dans la rue, passe devant la chaise.
Et la prenne avec lui
Et l’emmène avec lui,
Et la pose à l’abri dans sa maison.
Tu lui demandes pourquoi il garde une chaise
Qui a un pied cassé ?
Car une chaise, tout de même,
C’est fait pour s’asseoir sinon,
C’est un encombrement et c’est laid.
Pourquoi l’avoir récupérée ?
Parce qu’elle ne naquît dans une usine,
Parce qu’un ébéniste l’a façonnée.
Jean est un artiste, un créateur,
Qui reconnaît le travail de l’artisan.
Une chaise qu’il ne veut voir
Abandonnée.
Elle restera là, simplement,
Sauvée par Jean,
Pour la beauté du geste d’un inconnu,
Pour l’amour de l’Art.
Texte : "Une chaise", Béatrice Vergnaud.
Toile : Henri Matisse, Intérieur avec violon.
Toile : Elodie B. "Saltimbanques".
La fête
Dans une constellation magique
L’hérétique Moleskine flottant
Joue d’un instrument à vent
Pour des chienpanzés mystifiés
Et l’un d’eux se met à entonner
C’est la saison téméraire des mots
Qu’on achète chez Rimbaud
Moleskine chausse ses palmes
Gravit les marches ravi
Et à grands pas traverse l’allée Lilas
Son ami Escar Polette répare
Des squelettes et vite les remet
Sur bicyclette feu violet attendez
Changement de saison mais
Ophélie cotillons et confettis
Ophélie est du cygne de la mare
Ophélie porte sa valise et part
D’un grand éclat de rire.
Texte : "La fête" de Béatrice Vergnaud.
Aquarelle de Nicole Mikuljan : la place de la Contrescarpe, sans animation, au petit matin peut-être.
Nouvelle "Coco" de Béatrice VERGNAUD
(Le texte intégral s'étend sur quatre pages).
Coco
Lorsque vint le temps de refaire la décoration de la chambre d’amis dans la grande maison familiale, en décrochant un tableau peint par un ancêtre, pour en refaire l’encadrement, je trouvai derrière celui-ci, un cahier d’écolier écrit de la main de mon arrière grand-père, rémouleur à Paris, lequel contait par le menu, un épisode qui l’avait marqué.
- Et toi, gamin, tu restes à Paname ou tu bouges?
- Comm’ vous voyez, m’sieur, j’suis cireur de souliers, j’déambule ici et là et si ça marche pas, je cherche aut’ chose. En hiver, j’vends du gui : ça paraît pas mais c’est lourd sur l’épaule, tout’ la journée ce grand bâton avec ces boules de gui à chaque extrémité. C’est plus fatigant qu’ marchande de lacets ou de p’tits drapeaux! Et vous m’sieur?
Ach’tez mes crayons, un sou le crayon, un sou la carte postale. Et Maurice, ton orgue de barbarie, il est au chômage ou c’est ton singe qu’est fatigué? Allez tourne, tourne, met nous de l’ambiance, t’arrête pas!
- Moi, j’suis rémouleur comme mon père et son père étaient rémouleurs vu qu’ ça, 'y a toujours du turbin. J’installe ma meule au coin du faubourg, j’affûte et au bout de quelques jours, je change d’arrondiss’ment.
- J’en n’avais jamais vu d’ près.
- Regarde, j’affûte les ustensiles coupants et tranchants des ménagères comme des jardiniers, des bouchers, des ébénistes, des coiffeurs… J’ me déplace dans les villes et villages, j’m’arrête et agite une clochette, en criant : Rémouleur, couteaux, ciseaux, rasoirs ! Et les villageois s’approchent de ma rémoulette. Tu vois, j’fais tourner la meule avec la pédale. Au d’ssus, un p’tit réservoir rempli d’eau permet de mouiller le grès pendant qu’j’aiguise. Ca d’mande de l’expérience et beaucoup d’ temps pour s’ protéger des coupures. Là tu vois, j’utilise la meule pour désépaissir la lame et la remettre en forme. Avec les polissoirs, j’enlève les rayures et j’affin’ le tranchant. Ah c’est un métier noble; sais-tu que mes ancêtres affûtaient les poignards, les épées des gentilhommes… Ecoute le crissement de la meule sur le métal…
Aquarelle de Nicole Mikuljan : rue Mouffetard.
(suite de "Coco")
Jules est un homme entre quarante-cinq et cinquante ans, de belle stature, les yeux opaline dans un visage tanné ; une moustache chevron couvre la bordure de la lèvre supérieure. Un long tablier de cuir tenu par des attaches et œillets, descend jusqu’aux chevilles, le protège de l’huile et des étincelles. La traditionnelle casquette des ouvriers, souple à visière courte en forme de croissant portée légèrement sur le côté gauche lui donne fière allure. Jules a le geste précis lorsqu’il laisse glisser la lame sur l’émeri. Quand j’ai fait tous les quartiers, j’me tire de Paname où j’reviens l’année suivante. J’bouge autant que l’vannier ou l’rempailleur de chaises et plus que l’ange-gardien. Couteaux, ciseaux, rasoirs! Repassez vos couteaux!
- Qu’est-ce que c’est un ange-gardien? (à voix basse): c’est le mari d’ la faiseuse d’ange?
- Ah, ah! Tu n’ connais donc point? T’es bien jeune, il est vrai. Non, rien à voir avec cell’ que tu dis. L’ange-gardien raccompagne chez eux les clients qu’ont abusé du jaja, quelqu’fois il maille pour son compte, d’aut’fois pour le restaurateur. Sui-là, si c’est pas un feignant, peut avoir deux métiers: laitier l’ matin et ange-gardien l’ soir.
- Mais comment le réveilleur sait qui il doit réveiller et à quelle heure?
Vitrier! Vitrier!
- Il a un cal’pin avec écrit d’ssus le nom et l’adresse des clients. Il fait sa tournée en poussant un cri conv’nu en passant d’vant chaque maison jusqu’à ce que la fenêtre s’ouvre ou jusqu’à ce qu’il se fasse envoyer paître ! Pour lui, c’est du pareil au même: un sou par jour et par client. Un bon plan pour le réveilleur, c’est d’être homme-sandwich le reste du jour vu qu’alors, il fait son turbin en silence. Comme qui dirait, il récupère.
Toile de Vincent Van Gogh, vieux godillots.
Gueeeille! Ferraaaille! Peaaaauuux d’lapin! Gueeeille! Ferraaaille!
Ach’tez mes fleurs, mes belles fleurs, dis, toi, t’as donc pas une belle à qui offrir des pensées? Sentez-moi ça! Ach’tez mes jonquilles, ach’tez du lilas!
- Fais attention au cheval du laitier, petit!
Poussez-vous, laissez passer les déménageurs!
Gâteaux, gaufres, achetez mes gaufres!
- Non, tu vois gamin, le problème a commencé quand il y a eu des kiosques et des magasins. c’est la modernité qu’ils disaient. La modernité, c’est les magasins où tu peux trouver tout ce’que tu veux comme un réveil mécanique réglable ! Alors ce fut presque fini le réveilleur qui nous mettait d’ l’ambiance dès les premiers rayons d’ soleil. Depuis qu’les vendeurs font leur taf dedans, ça n’ rime à rien. Ca remplace le turbin des cam’lots, des vendeurs d’ balais, de tous ceux qui vendaient de çi, de là.
Demandez l’édition du matin! L’Estafette, La Presse, Le Siècle! Trois centimes, c’est pas cher pour le scandale de l’année!
- Et v’là que maintenant, ceux d’ la haute ont fait une ordonnance sur l’occupation des espaces et voies publiques, comm’ quoi qu’ les p’tits commerces doivent êt’ fixes et ça pour nous, c’est le coup fatal. Plus d’ambulants! Non mais tu m’ vois repasser les couteaux dedans, toujours au même endroit! Dans une échoppe! Ca, c’est pour nous faire payer un impôt. Si t’es ambulant, tu peux décamper quand t’en a marre, quand tu veux changer d’air ou quand qu’tu zieutes les poulagas alors que là, on est chocolat!
Ooh, ooh! A Ramona, la chemina du haut en bas!
- C’est drôle ce nom, ramona…
- C’est à cause du vieux français, quand on balayait avec un ramon. Avec un kiosque, t’entend plus jacqu’ter, tu fais plus c’que tu veux, t’es tout seul, t’entend plus d’ bruit, tu vois personne, tu sais plus c’qui se passe ! Pour sûr, l’hiver, t’es pas en plein vent ; t’attend le chaland à l’abri mais bon, c’est pas une vie, c’est même la mort, que j’te dis. Gamin, cireur de souliers, c’est mieux qu’être cueilleur d’orphelins!
Photographie de Charles Marville, Passage Saint-Guillaume à Paris, 1863.
(Suite de "Coco")
Ayez pitié d’un pauvr’ aveugle!
- Les orphelins, ça s’ cueille? Et qu’est-ce qu’y en font? Moi, j’ suis orphelin.
- Ah, ah, ah, ah! Vous entendez, les gârs, qu’est-ce qu’on fait des orphelins? On t’a donc rien appris! Non, gamin, cueillir des orphelins, ça a tout de même une aut’ allure que dire : « J’ ramasse un mégot d’ cibiche par ci, un bout par là et quand j’rentre dans ma turne, j’refais de nouvelles cibiches que j’ vends l’ lendemain ». Tu piges?
Désinfectez, embaumez vot’ maison, ach’tez du papier d’Arménie!
Demain, tirage de la tombola, ach’tez un billet, tentez vot’ chance!
- Ce pauv’ mutilé avec sa béquille, qu’est réduit à vendre des billets de tombola : tu crois qu’il va en vend’ beaucoup quand il s’ra dans un kiosque? Et les veuves, et les enfants, c’est pareil, c’est la débrouille mais faut qu’ça souaille dans la rue, pas dedans; j’te l’dis, gamin, j’l'ai à la caille! Bah, j’t’ai à la bonne, on va aller chez l’ bougnat s’arroser la dalle tant qu’on est encore vivants et tous ensemble dans la rue. Couteaux! ciseaux ! ras… Corbleu! allume tes quinquets, tu vois c’que j’vois?
- Euh… Non … J’vois rien.
- Par saint Urbain! Là… dans l’taxi… qui traverse le faubourg… sa mère faisait les marchés, j’ai nommé la bell’ orphelin’, la grand’ couseuse! ♫ Qui qu’a, qui qu’a vu Coco, vu Coco, vu Coco, qui qu’a vu Coco, dans l’Trocadero… ♫
"Coco", nouvelle de Béatrice Vergnaud.