Texte et photographie
Anne Dejardin
Il est cinq heures, l’heure qui repousse les ténèbres, entrouvre les rideaux du renouveau, installe à la table d’écriture le dilemme quotidien, écrire ou retravailler, il est cinq heures, au-delà de l’ordinateur, l’écran noir de la fenêtre pâlira bientôt, le reflet de la lampe, comme une fausse piste, égarer le bateau pour naufrage assuré, résister à l’encre de la nuit, comme celles de tous les carnets bientôt à se délaver, il est cinq heures, le ciel se teintera de rose à la frise du noir de la haie, dans une immobilité mensongère le palmier s’éveille, le corps amoindri suit son exemple et prend son temps dans ce chuchotement de promesses possible promesses possible promesses, il est cinq heures, l’heure qui leurre qui ?
Anne Dejardin
"Quand je n’écris pas, je brode les mots des autres et quelques fois les miens (https://www.instagram.com/dejardinanne/). Quand je n’écris pas, je lis les textes des autres et quelques fois les miens depuis ma voix ou celle d’Hortense anne dejardin - YouTube. Quand j’y pense, j’alimente un blog qui présente mes livres publiés et ceux qui sont en instance (https://annetadame.over-blog.com). Quand je n’écris pas, s’il me reste un peu de temps, je vis. Avant, quand je n’écrivais pas, j’animais avec ferveur des ateliers d’écriture en présentiel aux deux endroits où je vivais."
à Mohammed Nabi
Tu n’as plus rien à faire dans cette rue, pourtant les épaules cognées d’immeubles, tu jettes l’équerre et poses encore le clou et la ficelle
Pour rembarrer le doute, faut prendre le même chemin, à la rue chaque matin, juste y croiser la course des gosses, salut m’sieur, Viva Republica, le front rempli de rêves, on a chacun plus d’une centaine d’élèves, la Barraca ben pourquoi pas
Tu n’as plus rien à faire dans ce quartier, pourtant le forum du Blanc-Mesnil, retrouver le sang-froid des acteurs quand on se couche dans un fauteuil, bercer la tête et les colères, l’éclair que ça déclenche à l’intérieur, t’en as ramené des classes et des bastringues, les BG qui font l’fier et puis qui ont la frousse de monter sur la scène, tu y jetais ton cœur mathématiques, à calculer les pas qu’on y déploie pour pavaner malgré la peur, pour marcher différemment, mieux encore de jour en jour, parce qu’on part toujours de rien
Comme compter mieux de jour en jour
Avec le tempérament d’un fleuve, le crépuscule des p’tits matins au bahut, quand tout le monde se retrouve après la mobylette, la moto, le RER, c’est le meilleur de la journée, pleurer ensemble les catastrophes l’actualité les mauvais votes
On carburait tous au café
Tu n’as plus rien à faire dans ce couloir, pourtant on te voit suivre la carte aux trésors quand d’une classe à l’autre, s’élèvent un chant, une guitare, un trio, des tirades animées, un thé anglais, une blague allemande, un flamenco, une pièce d’échec, parce qu’il faut vivre dans la danse, du tôt matin au noir tardif sur le parking, quand on sort à cinq heures et qu’il fait creux dans le corps
Cinq heures tant pis, on partira pas maintenant, à raconter des choses, à plaisanter pour rien, le rire et la cadence, prendre le temps de dire, les conseils pour bien élever les grands, on en parlait si tard
T’en as plus rien à faire des strass et belles soirées, dans l’restaurant de la Comédie, on s’y retrouvait tous, j’ai vu quelques photos, on suivait des conférences pour rien, juste pour sortir ensemble, histoire de faire savants
Parce qu’on avait bien vu : plus on sort, plus les élèves se régalent, la fin des détresses, la fin des rengaines, la fin des marges, la fin des haricots qu’importe, il suffit simplement d’être là, un mur porteur pour tous les mômes, raconter des équations comme on raconte des histoires, cesser d’espérer autre chose, vivre tout plein chaque seconde, on n’avait jamais de montre
mais ce froid qui soulève, la pluie tarabustée du nord,
le petit matin cinq heures on l’avait celui-là, le bon café c’est reparti, le bon chakra, les mômes attendent une euphorie, les engueulades comme du poisson, ça rebondit, l’amitié prof-élèvoise, c’est fait pour te ruiner le triste, mille sabords et mille bargeots, ça fait ?
Aujourd’hui la rue n’a rien à faire sans toi, alors elle entend ta Méditerranée, l’ondulatoire qui fait des siennes, à te voir avancer, courbé contre une exponentielle, mais c’est pas la poussière qui te fait peur, tu fais la prosodie du chant mathématiques, rivé au cœur avec un gosse dans chaque sourire, sans oublier demain
ta grande équation du théâtre
Françoise Breton, pour Mohammed, notre fabuleux collègue du lycée Voillaume d'Aulnay-sous-Bois, qui va tellement nous manquer... Photographie du poète kabyle Yacine Boudia.
Texte et photographies de Juliette Derimay
"Là-haut"
Parking, boutique de vêtements, café, boutique de vêtements, restaurant, boutique de vêtements, parking. On quitte volontiers la station de ski pour entrer dans le blanc. Une fois derrière nous les piquets de la piste bleue et ses petits canetons en chasse-neige, on est seuls. Le temps change. On remet la veste, le pull, l’Arva, le vent souffle, la neige pique, il fait froid. On ne voit plus que le petit point orange sur la ligne bleue de l’écran du téléphone entre nos doigts gelés. Arrivée au refuge comme une bonne surprise plus espérée que prévue, soirée courte, nuit glaciale, réveil 5 heures. Pas de compromis. On est venus pour lui et pour celles qui l’accompagnent. Pour le lever de soleil, pour les lumières qui vont avec, pour les émotions du retour du jour, de sa clarté, de sa chaleur, de ses couleurs. Alors on se lève, on s’habille, on boit un peu on mangera plus tard, et on monte. Pour être à l’heure au rendez-vous.
L’endroit est choisi avec soin, avec une attention au proche comme au lointain, à l’angle, au cadre, à la terre comme au ciel. Prêts un peu en avance, on souffle dans nos mains, on se tape le bout des doigts sur la paume d’en face pour que le sang revienne y faire un tour, on sautille sur place. Impatience. Et enfin, timide, discrète et frêle, la voilà. Pas de trois coups, pas de fanfare, mais soudain elle est là, on oublie les doigts bleus et les orteils gelés, le cœur bat, on ne respire plus, elle entre. Elle se pose tendrement, lascive, respectant les reliefs, les mettant en valeur, elle caresse les sommets et laisse encore du temps aux creux pour sortir de leurs rêves. Les couleurs sont pastel, du jaune de l’orangé et de ce rose très doux que l’on prête d’habitude aux fleurs et aux amours quand ils viennent faire un tour dans la nuisette du jour. L’instant ne dure pas, vite chassé par le bleu qui est ici chez lui. L’aube a fait son travail, elle nous a rassasiés, nous a remis en forme, nous a remplis de doux, nous gavant de lumière, celle qui fait les photos, celle qui nous fait en vie.
Juliette Derimay, lit avidement et écrit timidement, tout au bout d’un petit chemin dans la montagne en Savoie. Travaille dans un labo photo de tirages d’art. Construit doucement des liens entre les images des autres et ses propres textes. Entre autres.
Site : les-enlivreurs.fr
Publications : « Voyage en Irréel », avec le photographe Nicolas Orillard-Demaire (nod-photography.com), paru en septembre 2021 chez Spot Éditions et nombreuses participations à des ouvrages collectifs.
Images (captations de sa vidéo "la mort le matin")
et texte poétique
de Milène Tournier
Dehors, les métiers de l’aube ont commencé l’aube. Les boulangeries sont fermées devant, rideau baissé devant l’enseigne, et ouvertes dans le dos, vers les fours grands comme une pièce entière, où s’accomplissent chaque jour les pâtons, les croissants comme tout petits poings à peine dépliés d’enfants, les pains au chocolat, et les baguettes qui rythmeront les cent, les presque mille journées de quartier dans la ville. Les balayeurs balayent, balai tête de paille comme un épouvantail retourné qui fait l’arbre droit dans les rigoles, et pousse les feuilles plutôt que les oiseaux, s’inquiète du sol plutôt que de la terre. Ni les banquiers n’ont commencé, ni encore les supermarchés. Aucun sac eastpack n’attend, ventre noué, devant le grand portail vigipirate des collèges. Les bus descendent et montent, comme chevaux un peu plus à la fois mobiles et maladroits de carrousel, qui ont accompagné la nuit toute la nuit, et qui, bientôt, iront se coucher. C’est l’aube et encore un tout petit peu la nuit.
Milène Tournier, auteure des recueils "Poèmes d'époque" (collection Polder de la revue Décharge, avec une préface de François Bon), "L'autre jour" (Prix SGDL) et « Je t’aime comme » (Editions Lurlure)... Sa chaîne youtube :
Caroline Diaz
Texte et photographie
c’était l’aube. traversait le long ciel de nuit somnambule. frôlait le sommet des arbres dénudés. c’était l’aube. ne dormirait pas, le rideau écarté, l’ombre. l’aube son silence, un reflet de lune, le merveilleux d’enfance. l’aube déplaçait lentement l’ennui. fixait les yeux au mirage amer. c’était l’effacement des étoiles dont on ne connait pas la place. c’était l’aube, son odeur de pluie froide — ivre. c’était l’aube. rompait les songes. les paupières s’ouvraient sur les mondes en dedans. les colorations électriques palpitaient dans l’obscurité. la vie revenait — son corps lourd immobile, son reflet noir sur la vitre, le silence. c’était l’aube — ciel et mer encore confondus d’encre. la nuit vacillante. c’était l’aube brève, suspendue — un renoncement. s’accrochait au dernier rêve. retrouvait les présents. un air moelleux avant l’impatience du jour. le ciel changeait. c’était de l’heure bleue comme d’une manière noire faire surgir ton visage.
Sur son blog Les heures creuses, Caroline Diaz publie Comanche, un récit à partir de photographies de son père disparu, un journal photographique. Elle participe en décembre 2021 à la revue DIRE. Depuis quelques mois, sa chaîne youtube, nouveau terrain d'exploration.
Danièle Godard-Livet
"Lyon-Nantes"
L'avion décolle à 6h 50.
Il me faut une heure pour rejoindre l'aéroport.
Trouver une place de parking, passer les contrôles
M'habiller (tout est prêt la veille), une douche (je déteste me doucher le soir)
Lever 5h.
Je mets le réveil, mais je suis toujours réveillée les jours de Nantes
L'hiver c'est dur. Le brouillard, surtout le brouillard,
et ces deux bretelles où l'on accède à l'autoroute par la voie de gauche
avec les camions qui foncent dans le brouillard et dans le noir.
La boutique à journaux ouvre, mais pas la buvette.
Attendre le ventre vide l'embarquement avec les autres, tous les autres, l'avion sera plein.
Me demander à quelle heure se lèvent les agents de sécurité, les hôtesses, le pilote
tous les jours, alors que je ne le fais qu'une ou deux fois par mois.
Taxi, la corbottière devant les installations d' Airbus, la porte de Grand-Lieu, le pont de Cheviré
toujours encombré, la Loire et la succession des portes tout au long du périphérique
en tranchée, on ne voit rien et je n'ai jamais fait l'effort de me repérer, pas même de savoir à quelle porte on sort.
Pareil le soir, mais il fait jour tout le long, ou presque.
Ingénieure agronome et philosophe de formation, j'ai eu une carrière de fonctionnaire entre ministère, école d'ingénieur et institut de recherche. Désormais retraitée, je me consacre à l'écriture et à la photo...et à mon jardin et à ma famille (à la pratique et l'enseignement de l'aikido aussi). Un site et un blog : https://www.lesmotsjustes.org et sept livres publiés...
Dessin de Anne-Marie Pamelard
Fabienne Savarit, "Entre la nuit et le jour"
Depuis quelques mois, Marcel ouvre les yeux vers cinq heures. Il reste couché de peur de réveiller sa femme et regarde par la fenêtre aux volets ouverts le ciel qui peu à peu dévoile son aurore. Autour de lui, tout dort. Lorsque l’énumération pensive des tâches qu’il ne peut plus accomplir cesse, il relève l’oreiller pour mieux respirer et apercevoir le ballet des mésanges bleues. Depuis sa maladie il observe. Observe les allées et venues de la maison, la pile de médicaments déposée sur la table de nuit, les paroles compatissantes, parfois larmoyantes. Il observe son corps peu à peu disparaitre et souvent, il a froid aux pieds. Alors il peste contre les courants d’air de la maison vieillissante, les souvenirs fatigués et la nostalgie poisseuse. Il entend parfois le silence lui murmurer les couleurs vives des parterres en fleurs, le bruissement dans les grands chênes ou le chant des grenouilles au ruisseau. Il sourit d’un soubresaut des lèvres, sans dire un mot. Les pensées tourbillonnent, devenues claires comme l’aube naissante et il voudrait fredonner, se promener tête nue, grimper sur les plus hautes branches. Il est cinq heures et il n’a plus sommeil.
Fabienne Savarit inscrit l’écriture dans son quotidien et laisse les mots l’emporter dans leurs sillages poétiques. Ses récits ont les couleurs de la vie et du littoral océanique. Son premier roman, La Caravane du Vent, a été publié aux Editions Auzas. Bien avant les récentes épidémies, Anne-Marie Pamelard a mis au point une peinture qui lui permet de se déplacer où bon lui semble, sans autorisation et en se faisant des amis. Dans ses dessins la cohabitation du vivant et de l'inanimé défie tout regard analytique, toutefois rien n'est mis au hasard.
Oeuvre picturale de Maïpo
Françoise Renaud, "dur le lundi"
bien rarement je me lève à cinq heures | alors chercher dans mon corps et dans ma mémoire ces endroits pourtant où | ces endroits ces instants | étranges instants qui se dessinent peu à peu, viennent de loin, se révèlent avec un goût amer dans la bouche | autobus ou avion à prendre | autobus vers la ville (on disait plutôt car qu’autobus) vers l’internat à cinquante kilomètres de la maison, c’est mon père qui me conduit en voiture jusqu’à l’arrêt, on ne se dit rien, personne sur la route bordée d’une végétation maritime, il fait nuit, c’est toujours dur le lundi et c’est l’hiver | serrer les pans du manteau contre soi, monter dans l’autobus avec son sac de linge et de livres et son lot de solitude | il ne s’est pas attardé, il est reparti tout de suite | dans le port la mer n’est jamais au même niveau chaque lundi | ou alors avion qui réclame de rallier l’aéroport à une heure indue, du coup calculer du temps en réserve pour ne pas le rater | les grands boulevards sont éclairés, circulation fluide, tellement sommeil | le corps veut retourner dans le lit tiède et moelleux | le bitume de la ville prend le pas sur le ciel noir, lueurs de l’aube doucement alertées du côté des pistes qui jouxtent la mer | bien sûr la lumière va venir et faire mal aux paupières et peser en arrière du crâne | tellement sommeil | le corps porte l’heure en lui depuis le premier cri, il sait ce qu’il doit supporter | il sait | cinq heures ici dans la vallée | la chatte dort sur le lit toujours au même endroit, exactement là qu’elle veut être à cette heure-là, sa respiration douce | repousser un instant le rideau pour considérer le noir qui remplit le trou de la rivière | et puis d’autres instants encore dans des villes étrangères ou après une fête, une nuit de folie, ivresse de corps, de couleurs et de mouvements | cinq ou six heures selon le pays ou la saison | l’heure de la mélancolie, du regret, du chagrin avec en arrière des yeux l’image d’une place vide bordée de palais balayée par le vent
Née et grandie sur la côte sud de la Bretagne, un territoire qui compte pour elle avec ses arbres et ses tempêtes. A étudié assez longtemps les sciences naturelles et les sciences de la terre, a enseigné, voyagé, nagé au large, fait des herbiers, exploré des volcans. A mis du temps à se trouver. Première publication en 1997. Aujourd’hui vit et cultive ses jardins au sud des Cévennes. Ce qu’elle aime dans l’écriture, c’est la fouille et l’invention de l’émotion. www.francoiserenaud.com
Perrine Le Querrec
Collage "Réveil", et texte
"Diurne"
Les maladresses du matin lorsque tout tombe tout cogne tout dérape
Passage à tabac des premières lueurs
Bleus brûlures sang coupures
C’est que sortir de la nuit c’est qu’échapper au cauchemar c’est que survivante c’est qu’un nouveau jour on ose à peine y croire c’est que délier les mains les libérer qu’elles attrapent une tasse la cuillère le café c’est que les jambes les resserrer c'est que debout le corps debout un jour nouveau debout marcher c’est qu’une sorte de résurrection à répétition c’est qu’une nouvelle chance c’est que l’esprit prend plus de temps que la chair c’est qu’il revient doucement à la vie c’est que la vie diurne parfois c’est qu’il en faut du courage de la conscience et son opposé c’est qu’on arrive, oui on arrive, notre lenteur notre obéissance notre silence à jamais nous arrivons cependant sortons de la nuit des ogres debout au milieu des autres chaque matin ce voyage pour parvenir au milieu des autres.
Perrine Le Querrec, auteure de nombreux recueils de poèmes : "Ruines" aux éditions Tinbad, "Les Tondues" aux Ed. Z4, "Rouge Pute" aux éditions La Contre-Allée, "Feux" aux éditions Bruno Doucey... http://www.perrine-lequerrec.fr
Marianne Lages
Photographie de Serge Texeira
Les affres de la nuit pour unique maison
Vidée je vagabonde entre terre et enfers
Dans le secret de l'ombre attachée à mes fers
La noirceur des ténèbres, le cerveau le poison
N'avais-je pas cent fois prié le ciel obscur
Des étoiles encore plus imploré la faveur
Espéré un instant, bref, fugitif, sauveur
À défaut de prétendre au bonheur d'Epicure
Une seconde éclair, une respiration
Qu'on invoque Hypnos, et qu'à mon intention
Les fleurs de pavot soient déposées par centaines
Dans les paupières clauses, par-dessus mon visage
Que le Dieu du sommeil dise la fin certaine
Quel est ce long chemin vide de tout présage
Texte d'Emmanuelle Cordoliani
Aquarelle d'Alexandre Piquion
Ce matin, trop tôt éveillée, j’ai assisté à un spectacle féérique. Littéralement : beau et au-delà de l’entendement. Jetant un œil dans l’espoir de voir un merle familier pour me réconcilier avec l’aube, j’ai d’abord eu du mal à en croire mes yeux. Des oiseaux verts à longues queues rejoignaient le grand arbre vert des voisins. Une dizaine d’entre eux dans l’or du petit jour. J’ai cru à un trompe-l’œil, que dans un jeu de la lumière ils reflétaient la couleur crue de l’herbe. Je me suis assise, j’ai pensé au mot berlue. Mais non. Échappés d’une volière ? — j’ai pensé à Soie de Baricco —, le dessin de leur corps en vol était un symbole, une écriture ondulatoire. Je suis restée longtemps à les observer depuis la grande fenêtre carrée qui donne sur le jardin, nichée dans ce réduit que nous sommes en train d’aménager sans bien savoir à quoi il peut servir, mais dont l’emplacement fait d’emblée une chambre de Capitaine. Je ne rêvais pas — ce n’était pourtant pas si sûr : la pièce jouxte les toilettes et j’étais peut-être dans mon lit atermoyant dans la chaleur des draps le besoin de m’y rendre —, mais je trouvais là une consolation merveilleuse au manque de sommeil, à la nuit sabotée. Il devait être aux alentours de cinq heures. Je ne les avais jamais vus auparavant. Sans ce ratage nocturne et grognon, je ne les aurais jamais vus. À une autre époque, dans ce demi-sommeil on aurait dit des fées. Elles sont restées une demi-heure dans l’arbre. Un point de rendez-vous, j’imagine. Au complet, elles sont parties pour ne plus revenir — je dis elles parce que j’ai appris ensuite, mais plus tard, leur nom : perruches à collier. Mais avant de me renseigner, j’avais pris le temps d’écrire un poème. Un poème pour la mémoire.
L’arbre est si grand
Tous les oiseaux ont l’air
De colibris
L’arbre est si vert
Tous les oiseaux ont l’air
De perroquets
Verts à becs rouges
Dans la lumière d’or
De l’aube neuve
Verts à longue queue
Tous ces oiseaux ont l’air
Pour mappemonde
S’y trace à l’encre
Vert-sombre, volatile,
Signes, symboles
De ralliement
De vent fou, de départ
Échappés de peu
Quelle volière
Quelle porte mal close
Quel étourdi
Les libéra
Verts et rouges, au ciel
Gris, étrangers ?
Leur cri aigre-rouge
Griffe l’air étouffant
Et sommeil
Des braves gens
Dont nulle étourderie
N’ouvrira la cage
Emmanuelle Cordoliani | 13/05 [MERVEILLEUX] (Journal d’un mot, an 3)
joue, écrit, enseigne, met en scène et raconte des histoires.
Son site : http://www.emmanuellecordoliani.com Son blog :
http://www.emmanuellecordoliani.com/category/blog/
Le site de sa compagnie : https://www.lecafeeuropa.com
Son atelier d'écriture : https://www.lecafeeuropa.com/blog
Toile d'Elodie B.
Zohra Mrimi
"Derviche"
En notre discussion, la planète était le centre de tous les discours,
Puis j'ai approché ma chaise sur le continent indien, la pointe de mes pieds touchait les montagnes du Tibet, un yéti, un homme, puis,
Un autre,
Il observait le lever du soleil avec félicité
Le crépuscule est une conférence où les incertitudes sont nos amis parfaits
J'ai arpenté l'atmosphère et ri
Je tournoie comme les derviches
Dans ma cuisine, la bouilloire alerte un matin...
Trop tôt,
Peut-être.
Zohra Mrimi, auteure de "Le jour fait l'adieu" (éditions Z4).
Présentation de l'artiste Elodie B. dans l'A propos du site.
Toile de Thérèse Cigna
Texte de Aline Recoura
Cinq à sept heures
J’ai mon cinq à sept heures
celui de fin d’après-midi
moi aussi je l'ai
pas du tout olé olé
ni un cadeau
ni un trophée
il est les deux heures vides
ni réunion
ni apéro
plus de devoirs à faire avec un enfant
plus de bain
plus de dîner à préparer
plus de jeux plus de cris
le cinq à sept est avachi
épuisé d'une énième journée
maternelle
le cinq à sept retour sur soi
retour au chez soi
silencieux
comme laissé le matin
dans mon cinq à sept
je dois inventer quelque chose
ne pas sombrer
ne pas tomber
souvent j'y réfléchi la journée
dès le matin même
je me fais un programme
que je ne respecte jamais
Incapable de préparer une classe
j'en sors épuisée
incapable d’écrire cerveau écrasé
coupable de lire
coupable de regarder un film une série
coupable de me faire plaisir
incapable de sport corps exténué
énergie zéro
coupable de me promener
incapable de faire les courses
coupable de manger ou boire
capable de lire et relire
des manuscrits
les envoyer comme une compulsive à des éditeurs
seul soulagement
Mon cinq à sept est un calvaire
un gouffre
un effort à vivre
où toute la solitude
d’une mère seule
d’une femme habitant seule
depuis beaucoup d’années
se concentre.
Aline Recoura est l'auteure de nombreux recueils, dont Banlieue ville aux éditions La lucarne des écrivains.
Thérèse Cigna, écrivaine et plasticienne, est animatrice de la rubrique art et culture -TV Royans Vercors et Gresivaudan
Membre du comité d’organisation Drôme -Isère de la BASI -Saint-Etienne https://cigna.book.fr
Toile de Anne Dejardin
Texte de Valérie Cassisa
Il est cinq heures, bientôt vingt,
c’est l’heure du train.
Les deux îliens partent sans rien,
que leur ultime vin, leur dernier pain
comme derniers soins,
ils pressent leurs mains,
entendent au loin,
courent à la fin,
deux défunts,
un point.
Point de, point d’eux,
pas de deux, danse macabre,
il est cinq heures passées de vingt.
Les endeuillés comptent à rebours
les minutes, les heures, les journées jusqu’à cinq heures passées de vingt
de ce mois d’août désoleillé.
Il est cinq heures, on n’y peut rien,
il est cinq heures pas encore vingt,
la décision, leur appartient.
Il est cinq heures passées de rien,
Est-ce la lumière céleste au lointain ?
Valérie Cassisa, enseignante au lycée Voillaume d'Aulnay-sous-Bois, présente à travers ce poème un hommage à ses proches, mais aussi à nos trois collègues enseignants qui nous ont quittés ces dernières semaines, Mohammed Nabi, Jean-Marc Decilap et Brahim Benzekka. Nous pensons très fort à eux
Pastel sec sur papier, Lysiane Schlechter "Il est cinq heures"
Calligramme d'Emmanuelle Rabu.
MATRIOCHKI
Il est
cinq heures
Petite Mère
Matriochka
dans ton ventre
je suis bien au chaud
Rien ne tonne encore
Petit Père en treillis
a semé son espoir
qui s’arrondit en toi
Je sais qu’ils t’effraient
les oiseaux du malheur
quand ils bourdonnent
crevant le crépuscule
au-dessus de la ville
retranchée dans ses caves
J’attendrai
dix-sept heures
pour quitter
dans le sang
ton ventre en feu
Garde-toi jusque-là
et quand j’aurai grossi
Matriona
je m’ouvrirai en deux
pour délivrer la vie
malgré la guerre
qui tonne la mort
« Il est cinq heures », Lysiane SCHLECHTER, plasticienne à Rotterdam. Pastel sec sur papier, 2019. Paru en janvier 2022, Wendelin et les autres (éd. L’herbe qui tremble), Lambert SCHLECHTER, avec 16 œuvres de Lysiane.
Emmanuelle RABU, auteure d’un recueil de calligrammes, 1494-Amphores poétiques, et d’un recueil de photos, Gris sauvages, chez Jacques FLAMENT éditions, en 2020.
Les deux complices composent ensemble un livre-dialogue entre dessins et textes, qui porte l’espoir de voir le jour en 2022.
Pierre Cohen-Hadria
"D’une rive l’autre"
Le premier bus est à cinq heures moins le quart, à Belleville, l’arrêt face au marchand de jus de fruits chinois, les autres une demi-heure plus tard - et comme il faut être à six heures à Orly – ouest – changer à Châtelet – puis à Denfert premier départ cinq heures trente cinq – pas besoin de réveil, un café rapidement, remonter le faubourg et attendre, le sac au dos, les yeux encore au noir – pas question de prendre un taxi à cinquante euros la course – la carte qui était orange est étendue, dézonée dit cette saloperie de dialecte technophylisé - le monde ne bouge pas encore dans la capitale, presque pas, quelques retardataires titubent sur le trottoir, j’attends, il arrive, nous sommes sept ou huit, je suis le seul blanc, dans l’habitacle plus de siège où s’asseoir mais on n’est pas fatigué – on n’est jamais fatigué quand on part tu as remarqué ? - des femmes sont assises et somnolent, quand ils montent, les uns saluent les autres échangent quelques mots un sourire une main serrée, les gens se connaissent, l’habitude, le travail surtout – c’était un mardi, je me souviens, le faubourg et la place, la route était alors praticable tout droit on allait sur celle de Turbigo – quelques unes montaient, le terminus se trouve à la porte Saint-Cloud – souvent je me suis souvenu de ces femmes qui montaient là, je me suis souvenu mon sac à l’épaule des soirs où on s’en allait en riant des cuisines de l’hôtel de la porte de Clichy, des femmes de ménage, des hommes et des valets – je me suis souvenu de ces métiers-là, qu’on appelle de service, cette façon de se trouver serviable et corvéable – la révolution de dix-sept et l’état de servitude, les esclaves traités comme des bêtes – ça n’a rien à voir tu crois ? - l’autobus prend la rue Beaubourg, elle devient du Renard quand elle passe devant la « grande maison » comme l’appelait l’épouse à Pompide, ses tuyaux de couleurs, bleu est-ce l’air, jaune, l’électricité, rouge le chauffage – je regarde ces quelques femmes qui descendent à l’arrêt Saint Merry où les filles allèrent à l’école primaire – le carrefour Rivoli et cette petite rue qui traverse de biais pour mener à Victoria, de la Coutellerie, cette rue qui semble à Modiano comme un passage secret, ou pour Marc Augé un non-lieu – non c’est moi qui interprète – je change, le bus continue j’attends le suivant qui montera sur l’autre versant de la vallée du fleuve – dans l’autre autobus la population a changé – quelques-uns se trouvent avec valises et anoraks – blancs – on est en hiver – sur la place en haut du boulevard, le lion défend la porte de l’autre côté des catacombes se trouve l’arrêt – il est tôt mais le monde commence à se hâter – il fait nuit – il fait froid sur terre, à l’esprit cette chanson qui fait « partir, partir on a toujours un bateau dans le cœur /un avion qui s’envole pour ailleurs.»
Pierre Cohen Hadria, Paris le 31 janvier 2022. Blogueur impénitent (http://www.pendantleweekend.net/ collectif au départ), je soutiens des aventures participatives : je travaille avec des artistes écrivains : au sein du collectif L’Air Nu - https://www.lairnu.net/) (avec Anne Savelli et Joachim Séné) où je défends, entre autres, un certain cinéma; au sein du collectif maison[s}témoin (http://www.maisonstemoin.fr/, (avec Christine Jeanney) plus librement blogueur (écritures, cinémas, voyages, images); commentant les poèmes-express de Lucien Suel (http://academie23.blogspot.com/) cinéma encore prépondérant (mais aussi chansons); j’aime aussi beaucoup travailler avec mon ami Denis Pasquier, photographe (https://denispasquier.com/fr/accueil) où il édite ses ouvrages, auxquels je collabore par l’écrit – beaucoup d’autres encore, en commentaires, images, ou cinéma – parcours personnel sans doute (je suis aussi sociologue indépendant), mais avec les autres aussi, toujours.
Cinq heures à Tokyo | Bruno Lecat | janvier 2022
Toile de Claudine Charoy
Cinq heures
Nuit
Encre
Encore
Zébrer erratiques les rues désertes éclairées d’enseignes
Seven-Eleven
aux trois bandes lumineuses
ORANGE
VERTE
ROUGE
Nous inhabitons Tokyo
Nous l’indifférons
Dans quel quartier sommes-nous
Il fait pourtant doux ce doit être l’été
Zébrer erratique les pages du carnet
Acheté avec sa pochette de feutres
Toi assise pliée sur escalier
Je en satellite perdu dans les
Contractions systoliques des feux
Tokyo la dé-ville
Nos haltes sont mauvaises
Nos erres sont mauvaises
Tachygraphie de rage dans ta ville mentale
Furigraphie de feutres écharpant les feuillets
Halogènes chassant l’ombre alentour tapie
Nous n’aurons pas dormi cette nuit encore
Bruno Lecat écrit depuis longtemps. Part au Mexique en 1994. Y apprend l' espagnol et la gravure en taille-douce. Découvre la littérature mexicaine. Part vivre 4 ans à Tokyo : découvre le butô. Publie de petits articles. Continue de voyager. Publie en 2015 Ecritures du monde, à compte d'auteur. Anime des blogs. Dessine. Part vivre au Guatemala, y fait deux expositions. Continue d'écrire. Puis le Maroc. Retour récent en France. Publie Archéologies ferroviaires chez Jou en janvier 2022. Collabore régulièrement au Tiers Livre de François Bon. Commence à lire en public. Crée des podcasts littéraires pour faire entendre les voix des auteurs.
Croquis d'Ema Courtois
Marine Levaray, "Courbaturée"
Cette femme. De toute beauté.
Elle m'inspire la force
à l'état pur.
Ventre noué, gorge serrée, coeur balafré,
elle s'en va travailler.
Aucun indice ne permet de déceler
sa fatigue.
Au coucher, elle sera là.
Courbaturée, révoltée, exténuée.
Mais tous ces sentiments,
Resteront dissimulés.
Et moi, je continuerai à
l'admirer.
Marine Levaray, jeune étudiante de l'Essonne, verra bientôt son premier recueil publié au Lys bleu.
Gaëlle-Bernadette Lavisse
"Il est cinq heures..."
Il est cinq heures…. En fan de Jacques Dutronc, défilent les paroles… il est cinq heures et je m’éveille, je ne suis pas à Paris, mais encore dans mon lit, dans ma petite campagne…il fait encore nuit noire…il fait froid…. C’est l’hiver… je pense à ces pauvres sdf qui dorment dehors, aux migrants sur les bateaux de fortune… L’esprit éveillé, voyage dans toutes sortes de pensées… écrire… lire… regarder le fil sur la toile, ou simplement laisser libre court à mon imagination, chercher à me rendormir, prier, écouter de la musique, penser à toi, me mettre à rêver à ce tout possible encore… La nuit, quand le silence est pesant, à la recherche de cette étoile pour guide, brille pour moi, dis-moi… il est cinq heures, l’heure d’un petit café, je me perds dans mes pensées, pense-t-il à moi lui aussi ? … suis – je dans ses rêves ? aucune lumière dans la chambre sinon celle de la lune au travers des fenêtres. Ecrire à la lueur de la lune ronde et pleine, écrire les zones d’ombres et les fantasmes qui m’envahissent en cet instant. Ecrire dans ce spectacle que m’offre la nuit dans un décor ancien de film en noir et blanc sans paroles.
Gaëlle-Bernadette Lavisse.
Photographie de Françoise B. : 5h en Finistère.
Toile de MAÏPO, texte de Lloubia
Journal de Francesca du groupe XXI des derniers terriens
“Fleurs de Peau”, 4h50 le 5 mai 5555
Les calculs des Tout Transformés avaient, depuis 300 ans, prévu l’impact fatal à 5 heures a.m le 5/05/5555. Cela leur avait laissé le temps de préparer leur départ vers Terre 2. Nous, les rebelles, refusant l’implantation du dernier module de NA (Neutralité Absolue) avons été laissés sur place après avoir été mis à l’écart par précaution. Les sentiments, les émotions avaient été déclarés néfastes à l’équilibre de la population, et le dernier module NA palliait à ces désordres “humains”. Cependant, nous, Fleurs de Peau présentions un risque élevé de contagion. Nous fûmes donc mis à l’isolement. Aliénor signe sa dernière aquarelle. Dimitri peaufine son Titan de marbre. Lorenzo, concentré, aligne des équations compliquées. Geny danse au rythme de l’archet de son violon. Lioubov a allumé sa serre d’où jaillit un feu d’artifice floral.
Josua, le navigateur solitaire, plie soigneusement le spi de son voilier. Et moi, Francesca, je dépose les mots ruisseaux qui coulent de mes doigts. Chacun, chacune vaque à son oeuvre sans un mot, sans lever les yeux vers le ciel.
4h59 déjà …. le ciel vrombit déjà …..
mes Fleurs de Peau je vous aim
Lloubia est une artiste de l'Yonne.
Texte et oeuvre picturale
Thérèse Cigna
Il faisait nuit noire, j’aimais me promener dans les ruelles du prieuré. Je suis entrée dans l’Abbaye par la grande porte, la lune éclairait les monstrueuses gargouilles, j'avais l'impression qu'elles me suivaient du regard, désagréable sensation.
Machinalement, j’ai saisi un cierge, je profitais qu'un autre se consume pour allumer le mien, je me pressais d'invoquer le divin, Bible en main, me donnant ainsi la possibilité d’avoir accès aux voies impénétrables du Seigneur. C’était son livre. Si dans l’ombre il ne me voyait pas, néanmoins, il reconnaîtrait l’œuvre de son doigt. J'étais persuadée d'être au bon endroit, certaine d’être entendue. Dehors, le cri d'une chouette me fit tressaillir, étais-je bien dans la maison de Dieu ?
Toile de Thérèse Cigna : travail sur papier noir, grattage au cutter.
Béatrice Vergnaud, "L’eau et la terre"
Aquarelles d'Isabelle Becker en Guadeloupe
Cinq heures.
Harassé,
Me voici au port,
La nuit pas encore finie.
Je suis de l’Océan
Toi de la Mer lui du Fleuve
Nous sommes gens de l’eau,
Marins.
Cinq heures.
Harassés,
La journée pas encore finie.
Ils sont terriens.
Solidement la Terre enracine
Tandis que le fleuve fluctue
Joue des tours et détours.
Jean sans terre et Jean de la terre
Peuvent-ils s’entendre ?
Pêcheur et Semeur
Sont frères ayant le dur labeur
Pour demain puis l’autre demain
Même sueur même mal aux os
Même récolte aléatoire
Persévérant pourtant leur vie durant
Avant de s’en aller sans bruit
Le devoir accompli
Femme et enfants nourris.
Aquarelles d'Isabelle Becker, "plage des raisins clairs", "plage des rouleaux", "plage des salines, Pte des châteaux", "plage de l'UCPA", "plage trou du souffleur", "plage de l'anse du souffleur"
Isabelle Becker, taches d'encre.
Virginie Séba, texte et photographie "Brûler l'horizon"
La ville est caca
Il pleut caca
Le long des trottoirs
Cacas se déversent
Tout est caca
Un caca qui plane obstrue
embue flatule
Un caca qu'on ignore
Un caca qu'on ramasse
Tout est caca
Un énorme caca
Comme si la ville
A Huge Restroom
locqué
dans l'univers
Une ville
regroupement de caca
Consortium de caca
Chiens qui font caca
Pigeons qui font caca
Même les arbres font caca
Paquets marron humide
Ca fait flop sous mes pieds
Constellations de caca
Sous les arbres
Parqués en cage
Boulettes dures
Cacas desséchés
Saucissons secs mal découpés
Ou galettes molles
fraîchement écrasées
Sous le pied imprudemment
Et caca se répand
Se suit à la trace
traces brunes
Empreintes arrondies
Ramassées sombre
en son centre
6h du matin
sanglots marrons
gorge serrée
ma ville
Poétesse performeuse, Virginie Séba écrit, dit, publie, anime et intervient pour des projets artistiques en milieu scolaire et culturel.
En solo ou à plusieurs, accompagnée de musicien.nes, Virginie a créé 3 spectacles dont le dernier est un hommage vibrant à Sister Rosetta Tharpe, pionnière du rock’n roll. Retrouvez toute son actualité sur www.slamchante.fr
Catherine Serre
"Cinq heures à Babylone"
Sais tu le sais tu qu’à cinq heures
Le matin de l’Est s’éveille avant toi
Tente le clignement d’un œil
Face au soleil rouge
Sais tu le sais tu que ça sonne cinq heures
A Ryad, à Minsk, à Djibouti, à Nairobi, à Antananarivo,
Ça sonne cinq heures
A Kampala, à Moscou, à Kiev, à Manama, à Koweït,
Ça sonne cinq heures
A Mamoudzou, à Doha, à Mogadiscio, à Ankara, à Sanaa, à Addis-Abeba
Ça sonne cinq heures
A Bagdad
Sais tu le sais tu que ça sonne cinq heures
à Babylone ville de sable dans le sable
Archéologie de palais dans le sable
Archéologie de temple dans le sable
Ombre de jardin dans la chaleur de sable
Et de l’autre côté du fleuve
Asséché en été
La ville moderne tente de vivre
Et ça sonne cinq heures
Sais tu le sais tu qu’à cinq heures
Tous les jours à Babylone le temps
Se compte en siècle, en siècle de siècle
N’espère aucun oiseau, que de sable
N’espère aucun rire, que de sel
Ça sonne cinq heures
Les fantômes s’y réveillent en baillant
Dans la ville moderne s’ennuie la société
D’un après-guerre désabusé
Il y a eu des espoirs à cinq heures
Sur un pont capital à espérer le jour
A cinq heures sur un pont capital à chanter
Son nom de révolution
Son nom de culture
A cinq heures sur un pont aux soleils fatigués
À boire des cafés amers, manger du pain rassis
À pleurer les amis
À cinq heures
À l'heure de la nuit forgée d'une chemise d’acier
Sais tu le sais tu
A cinq heures de l’Est
Les fantômes baillent d’ennui
Au matin taciturne
Quand les oiseaux sont en pierre
Quand les rires sont de sel
Catherine Serre, texte et photographie – écrit depuis longtemps et n'importe où, des mots au son et à la vidéo, une langue rythmée et imprégnée du sonore, tentative de vivre dans ce monde désarticulé, elle publie régulièrement en revue papier et web, les lit et les remercie d'exister, réalise des poèmactions aussi souvent que nécessaire, des expoèmes alliant art visuel et mots pour l’espace public, en Festival ou de par son initiative, et une chronique vidéo en ligne.
Rebecca Armstrong
Texte et photographie "Cinq heures"
Lueur incandescente
Le ciel horizon rouge flash
Sous les paupières
Fermées les fenêtres
Vibration
D’une ville et d’une autre
Silences tonnerres de la nuit qui
Cèdent à l’empire
Du jour et ses voix qui
Chuchotées répandent l’écho
Une main tremble
Des bottes boue
Bottes bitume
En rafales
Lueurs incandescentes
Le ciel crépite
Et dessous se faufilent
Les peurs sombres étouffent
Les espérances
Transparentes translucides transpercées
Page blanche tâches d’encre
Ecrire vite
Avant que les pluies n’embrasent
Les corps les doigts
Message raturé
Plume abandonnée
Lucide
L’oreiller aux aguets
N’embrasent le vivant
Vibration
A l’unisson des peaux
Lueur incandescente
D’un cœur au ralenti
Cœur de villes
Grises comme les âmes
Tenir
Fuir
Quelques mots jetés
Eteintes les lumières de la ville
On devine lettres penchées
Kiev il est cinq heures
Kharkiv il est cinq heures
Rebecca Armstrong crée des podcasts où elle s'entretient avec de nombreux écrivains, essayistes, scientifiques. Elle s’aventure depuis peu sur les chemins de l’écriture. Elle aime à dire « soyons toujours curieux », phrase qu’elle explore à travers ses podcasts #2050 et Une Boussole pour les Temps Qui Courent. Sur Instagram elle propose régulièrement des lectures partagées.
Gracia Bejjani
5 heures, empreintes d’aube
même ciel
ailleurs autrefois aujourd’hui
même matin soie
se retrouver humain baroque
étonnement à chaque réveil
même ciel, couleurs effondrées
prodige d’aube sans volonté
tressaille dans nos corps hallucinés
bouches vaines de langueur
que vie revienne d’absurdité des nuits
nomades soleils du raz du monde
graines de miracles ordinaires
on reprend langage
mots pierrailles, voix frileuses de nos os
on se balbutie, lunaires abandons
réconciliés avec le sang, lourdes larmes
livrés à l’humilité canaille d’un simple matin d’avril
on rêverait vivre de nuits et d’aubes
retirés de l’arrogance du jour.
Gracia Bejjani
Site personnel : graciabejjani.fr
Chaîne vidéo : youtube.com/c/graciabejjani
Podcast : https://anchor.fm/gracia-bejjani
Animation de vidéos-live : en direct sur facebook.
Gracia Bejjani
texte et images (captations de ses films)
"aujourd'hui demain, 5 heures"
de l’autre côté, mêmes absences aux balcons
tu regardes les franges des toits ; brun béton
ciel livré à la lumière, à ses dérives
tu ne le vois plus bouger
fi du réel
l’usine à droite expire
sa fumée te semble étale
son mouvement, tâche grise
de l’autre côté de la vitre,
tu ne vois plus choses ni hommes
tu vois du temps
ton espace, superposition d’instants
de temps
matière surannée ; surgissement décousu
tes minutes, de passé saturées
tu regardes le temps
ce temps, empilement de lieux
ta vie, empiètement de temps
déni de l’après
demain, mêmes absences guettent
demain, l’aberration
Gracia Bejjani
Site personnel : graciabejjani.fr
Chaîne vidéo : youtube.com/c/graciabejjani
Podcast : https://anchor.fm/gracia-bejjani
Animation de vidéos-live : en direct sur facebook.